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Une maison de campagne, aux volets verts, se trouvait également occupée par des tirailleurs, dont les coups de feu partaient des fenêtres entr’ouvertes du rez-de-chaussée. Il était environ quatre heures, le bruit du canon se ralentissait, se taisait peu à peu ; et l’on était là, à se tuer encore, comme pour une querelle personnelle, au fond de ce trou écarté, d’où l’on ne pouvait apercevoir le drapeau blanc, hissé sur le donjon. Jusqu’à la nuit noire, malgré l’armistice, il y eut ainsi des coins de bataille qui s’entêtèrent, on entendit la fusillade persister dans le faubourg du fond de Givonne et dans les jardins du Petit-Pont.

Longtemps, on continua de la sorte à se cribler de balles, d’un bord du vallon à l’autre. De temps en temps, dès qu’il avait l’imprudence de se découvrir, un homme tombait, la poitrine trouée. Dans l’allée, il y avait trois nouveaux morts. Un blessé, étendu sur la face, râlait affreusement, sans que personne songeât à l’aller retourner, pour lui adoucir l’agonie.

Soudain, comme Jean levait les yeux, il vit Henriette, qui était tranquillement revenue, glisser un sac sous la tête du misérable, en guise d’oreiller, après l’avoir couché sur le dos. Il courut, la ramena violemment derrière l’arbre, où il s’abritait avec Maurice.

— Vous voulez donc vous faire tuer ?

Elle parut ne pas avoir conscience de sa témérité folle.

— Mais non… C’est que j’ai peur, toute seule dans ce vestibule… J’aime bien mieux être dehors.

Et elle resta avec eux. Ils la firent asseoir à leurs pieds, contre le tronc, tandis qu’ils continuaient à tirer leurs dernières cartouches, à droite, à gauche, dans un enragement tel, que la fatigue et la peur s’en étaient allées. Une inconscience complète leur venait, ils n’agissaient plus que machinalement, la tête vide, ayant perdu jusqu’à l’instinct de la conservation.