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de se faire prendre au piège comme un serin, en rentrant à Sedan, qu’il allait foutre le camp à l’étranger, lui, et raide ! Des soldats s’étaient approchés, qui l’écoutaient.

— Mais, mon général, dit un sergent, on ne peut plus passer, il y a des Prussiens partout… C’était bon ce matin, de filer.

Des histoires, en effet, circulaient déjà, des compagnies séparées de leurs régiments, qui, sans le vouloir, avaient passé la frontière, d’autres qui, plus tard, étaient même parvenues à percer bravement les lignes ennemies, avant la jonction complète.

Le général, hors de lui, haussait les épaules.

— Voyons, avec des bons bougres comme vous, est-ce qu’on ne passe pas où l’on veut ?… Je trouverai bien cinquante bons bougres pour se faire encore casser la gueule.

Puis, se retournant vers la vieille paysanne :

— Eh ! tonnerre de Dieu ! la mère, répondez donc !… La Belgique, où est-ce ?

Cette fois, elle avait compris. Elle tendit vers les grands bois sa main décharnée.

— Là-bas, là-bas !

— Hein ? qu’est-ce que vous dites ?… Ces maisons qu’on aperçoit, au bout des champs ?

— Oh ! plus loin, beaucoup plus loin !… Là-bas, tout là-bas !

Du coup, le général étouffa de rage.

— Mais, c’est dégoûtant, un sacré pays pareil ! On ne sait jamais comment il est fait… La Belgique était là, on craignait de sauter dedans, sans le vouloir ; et, maintenant qu’on veut y aller, elle n’y est plus… Non, non ! c’est trop à la fin ! qu’ils me prennent, qu’ils fassent de moi ce qu’ils voudront, je vais me coucher !

Et, poussant son cheval, sautant sur la selle comme une outre gonflée d’un vent de colère, il galopa du côté de Sedan.