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heures. Le pis était que des obus recommençaient à tomber sur les maisons. Des fracas plus fréquents retentissaient. Il en éclata un rue des Voyards. Un autre écorna une cheminée haute de la fabrique, et des gravats dégringolèrent devant le hangar.

Bouroche leva les yeux, grognant :

— Est-ce qu’ils vont nous achever nos blessés ?… C’est insupportable, ce vacarme !

Cependant, l’infirmier tenait allongée la jambe du capitaine ; et, d’une rapide incision circulaire, le major coupa la peau, au-dessous du genou, cinq centimètres plus bas que l’endroit où il comptait scier les os. Puis, vivement, à l’aide du même couteau mince, qu’il ne changeait pas pour aller vite, il détacha la peau, la releva tout autour, ainsi que l’écorce d’une orange qu’on pèle. Mais, comme il allait trancher les muscles, un infirmier s’approcha, lui parla à l’oreille.

— Le numéro deux vient de couler.

Dans l’effroyable bruit, le major n’entendit pas.

— Parlez donc plus haut, nom de Dieu ! J’ai les oreilles en sang, avec leur sacré canon.

— Le numéro deux vient de couler.

— Qui ça, le numéro deux ?

— Le bras.

— Ah ! bon !… Eh bien ! vous apporterez le trois, la mâchoire.

Et, avec une adresse extraordinaire, sans se reprendre, il trancha les muscles d’une seule entaille, jusqu’aux os. Il dénuda le tibia et le péroné, introduisit entre eux la compresse à trois chefs, pour les maintenir. Puis, d’un trait de scie unique, il les abattit. Et le pied resta aux mains de l’infirmier qui le tenait.

Peu de sang coula, grâce à la compression que l’aide exerçait plus haut, autour de la cuisse. La ligature des trois artères fut rapidement faite. Mais le major secouait