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Le capitaine, dans une sorte de somnolence, ouvrait les yeux, péniblement. Il avait reconnu ses amis, il s’efforçait de leur sourire.

— Oui, la jambe seulement… Je n’ai pas même senti le coup, j’ai cru que je faisais un faux pas et que je tombais…

Mais il parlait avec difficulté.

— Oh ! j’ai soif, j’ai soif !

Alors, Madame Delaherche, penchée à l’autre bord du matelas, s’empressa. Elle courut chercher un verre et une carafe d’eau, dans laquelle on avait versé un peu de cognac. Et, lorsque le capitaine eut vidé le verre avidement, elle dut partager le reste de la carafe aux blessés voisins : toutes les mains se tendaient, des voix ardentes la suppliaient. Un zouave, qui ne put en avoir, sanglota.

Delaherche, cependant, tâchait de parler au major, afin d’obtenir, pour le capitaine, un tour de faveur. Bouroche venait d’entrer dans la salle, avec son tablier sanglant, sa large face en sueur, que sa crinière léonine semblait incendier ; et, sur son passage, les hommes se soulevaient, voulaient l’arrêter, chacun brûlant de passer tout de suite, d’être secouru et de savoir : « À moi, monsieur le major, à moi ! » Des balbutiements de prière le suivaient, des doigts tâtonnants effleuraient ses vêtements. Mais lui, tout à son affaire, soufflant de lassitude, organisait son travail, sans écouter personne. Il se parlait à voix haute, il les comptait du doigt, leur donnait des numéros, les classait : celui-ci, celui-là, puis cet autre ; un, deux, trois ; une mâchoire, un bras, une cuisse ; tandis que l’aide qui l’accompagnait, tendait l’oreille, pour tâcher de se souvenir.

— Monsieur le major, dit Delaherche, il y a là un capitaine, le capitaine Beaudoin…

Bouroche l’interrompit.

— Comment, Beaudoin est ici !… Ah ! le pauvre bougre !