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jusqu’au bout de la haie, on se jeta parmi de petits arbres, sur une pente, où Rochas fit recommencer le feu. Les hommes, dispersés en tirailleurs, abrités, pouvaient tenir ; d’autant plus qu’un grand mouvement de cavalerie avait lieu sur leur droite, et qu’on ramenait des régiments en ligne, afin de l’appuyer.

Maurice, alors, comprit l’étreinte lente, invincible, qui achevait de s’accomplir. Le matin, il avait vu les Prussiens déboucher par le défilé de Saint-Albert, gagner Saint-Menges, puis Fleigneux ; et, maintenant, derrière le bois de la Garenne, il entendait tonner les canons de la garde, il commençait à apercevoir d’autres uniformes allemands, qui arrivaient par les coteaux de Givonne. Encore quelques minutes, et le cercle se fermerait, et la garde donnerait la main au ve corps, enveloppant l’armée française d’un mur vivant, d’une ceinture foudroyante d’artillerie. Ce devait être dans la pensée désespérée de faire un dernier effort, de chercher à rompre cette muraille en marche, qu’une division de la cavalerie de réserve, celle du général Margueritte, se massait derrière un pli de terrain, prête à charger. On allait charger à la mort, sans résultat possible, pour l’honneur de la France. Et Maurice, qui pensait à Prosper, assista au terrible spectacle.

Depuis le petit jour, Prosper ne faisait que pousser son cheval, dans des marches et des contremarches continuelles, d’un bout à l’autre du plateau d’Illy. On les avait réveillés à l’aube, homme par homme, sans sonneries ; et, pour le café, ils s’étaient ingéniés à envelopper chaque feu d’un manteau, afin de ne pas donner l’éveil aux Prussiens. Puis, ils n’avaient plus rien su, ils entendaient le canon, ils voyaient des fumées, de lointains mouvements d’infanterie, ignorant tout de la bataille, son importance, ses résultats, dans l’inaction absolue où les généraux les laissaient. Prosper, lui, tombait de sommeil. C’était la