Page:Zola - La Débâcle.djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dolente, ce qui égaya la compagnie. Tous, de nouveau, s’allongèrent dans un chaume ; et trois hommes encore n’en furent pas moins tués. C’était, là-haut, un véritable ouragan déchaîné, les projectiles arrivaient en si grand nombre de Saint-Menges, de Fleigneux et de Givonne, que la terre semblait en fumer comme sous une grosse pluie d’orage. Évidemment, la position ne pourrait être gardée longtemps, si de l’artillerie ne venait au plus tôt soutenir les troupes engagées avec tant de témérité. Le général Douay, disait-on, avait fait donner l’ordre d’avancer à deux batteries de l’artillerie de réserve ; et, à chaque seconde, anxieusement, les hommes se retournaient, dans l’attente de ces canons qui n’arrivaient pas.

— C’est ridicule, ridicule ! répétait le capitaine Beaudoin, qui avait repris sa promenade saccadée. On n’envoie pas ainsi un régiment en l’air, sans l’appuyer tout de suite.

Puis, ayant aperçu un pli de terrain, sur la gauche, il cria à Rochas :

— Dites donc, lieutenant, la compagnie pourrait se terrer là.

Rochas, debout, immobile, haussa les épaules.

— Oh ! mon capitaine, ici ou là-bas, allez ! la danse est la même… Le mieux est encore de ne pas bouger.

Alors, le capitaine Beaudoin, qui ne jurait jamais, s’emporta.

— Mais, nom de Dieu ! nous allons y rester tous ! On ne peut pas se laisser détruire ainsi !

Et il s’entêta, voulut se rendre compte personnellement de la position meilleure qu’il indiquait. Mais il n’avait pas fait dix pas, qu’il disparaissait dans une brusque explosion, la jambe droite fracassée par un éclat d’obus. Il culbuta sur le dos, en jetant un cri aigu de femme surprise.

— C’était sûr, murmura Rochas. Ça ne vaut rien de tant remuer, et ce qu’on doit gober, on le gobe.