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— À Bazeilles, ma petite, vous devriez bien nous y emmener avec vous !… Nous y étions tout à l’heure, j’espère que nous allons y retourner ; mais je vous avertis qu’il n’y fait pas froid.

— Je vais à Bazeilles rejoindre mon mari, déclara Henriette de sa voix douce, tandis que ses yeux d’un bleu pâle gardaient leur tranquille décision.

On cessa de rire, un vieux sergent la dégagea, la força de retourner en arrière.

— Ma pauvre enfant, vous voyez bien qu’il vous est impossible de passer… Ce n’est pas l’affaire d’une femme d’aller à Bazeilles en ce moment… vous le retrouverez plus tard, votre mari. Voyons, soyez raisonnable !

Elle dut céder, elle s’arrêta, debout, se haussant à chaque minute, regardant au loin, dans l’entêtée résolution de continuer sa route. Ce qu’elle entendait dire autour d’elle la renseignait. Des officiers se plaignaient amèrement de l’ordre de retraite qui leur avait fait abandonner Bazeilles, dès huit heures un quart, lorsque le général Ducrot, succédant au maréchal, s’était avisé de vouloir concentrer toutes les troupes sur le plateau d’Illy. Le pis était que, le 1er corps ayant reculé trop tôt, livrant le vallon de la Givonne aux allemands, le 12e corps, attaqué déjà vivement de front, venait d’être débordé sur son flanc gauche. Puis, maintenant que le général de Wimpffen succédait au général Ducrot, le premier plan de nouveau l’emportait, l’ordre arrivait de réoccuper Bazeilles coûte que coûte, pour jeter les Bavarois à la Meuse. N’était-ce pas imbécile de leur avoir fait abandonner une position, qu’il leur fallait à cette heure reconquérir ? On voulait bien se faire tuer, mais pas pour le plaisir, vraiment !

Il y eut un grand mouvement d’hommes et de chevaux, le général de Wimpffen parut, debout sur ses étriers, la face ardente, la parole exaltée, criant :