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à moitié dévêtu, les broderies d’or de son uniforme salies de poussière et de sang. Sans parler, il avait levé la tête, il regardait, d’un air vague. Puis, ayant aperçu les trois femmes, saisies, les mains jointes devant ce grand malheur qui passait, l’armée tout entière frappée dans son chef, dès les premiers obus, il inclina légèrement la tête, avec un faible et paternel sourire. Autour de lui, quelques curieux s’étaient découverts. D’autres, affairés, racontaient déjà que le général Ducrot venait d’être nommé général en chef. Il était sept heures et demie.

— Et l’empereur ? demanda Henriette à un libraire, debout devant sa porte.

— Il y a près d’une heure qu’il est passé, répondit le voisin. Je l’ai accompagné, je l’ai vu sortir par la porte de Balan… Le bruit court qu’un boulet lui a emporté la tête.

Mais l’épicier d’en face se fâchait.

— Laissez donc ! des mensonges ! il n’y a que les braves gens qui y laisseront la peau !

Vers la place du Collège, la carriole qui emportait le maréchal, se perdait au milieu de la foule grossie, parmi laquelle circulaient déjà les plus extraordinaires nouvelles du champ de bataille. Le brouillard se dissipait, les rues s’emplissaient de soleil.

Mais une voix rude cria de la cour :

— Mesdames, ce n’est pas dehors, c’est ici qu’on a besoin de vous !

Elles rentrèrent toutes trois, elles se trouvèrent devant le major Bouroche qui avait déjà jeté dans un coin son uniforme, pour revêtir un grand tablier blanc. Sa tête énorme aux durs cheveux hérissés, son mufle de lion flambait de hâte et d’énergie, au-dessus de toute cette blancheur, encore sans tache. Et il leur apparut si terrible qu’elles lui appartinrent du coup, obéissant à un signe, se bousculant pour le satisfaire.