Page:Zola - La Débâcle.djvu/264

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vivait plus que comme un blâme muet dans la maison, elle se tenait toujours enfermée dans sa chambre, d’une grande rigidité de dévotion. Cette fois pourtant, l’injure était si grave, qu’elle résolut de prévenir son fils.

Gilberte, rougissante, répondait :

— Oui, j’ai eu tout de même quelques heures de bon sommeil… Vous savez que Jules n’est pas rentré…

D’un geste, madame Delaherche l’interrompit. Depuis que le canon tonnait, elle s’inquiétait, guettait le retour de son fils. Mais c’était une mère héroïque. Et elle se ressouvint de ce qu’elle était montée faire.

— Votre oncle, le colonel, nous envoie le major Bouroche, avec un billet écrit au crayon, pour nous demander si nous ne pourrions pas laisser installer ici une ambulance… Il sait que nous avons de la place, dans la fabrique, et j’ai déjà mis la cour et le séchoir à la disposition de ces messieurs… Seulement, vous devriez descendre.

— Oh ! tout de suite, tout de suite ! dit Henriette, qui se rapprocha. Nous allons aider.

Gilberte elle-même se montra très émue, très passionnée pour ce rôle nouveau d’infirmière. Elle prit à peine le temps de nouer sur ses cheveux une dentelle ; et les trois femmes descendirent. En bas, comme elles arrivaient sous le vaste porche, elles virent un rassemblement dans la rue, par la porte ouverte à deux battants. Une voiture basse arrivait lentement, une sorte de carriole, attelée d’un seul cheval, qu’un lieutenant de zouaves conduisait par la bride. Et elles crurent que c’était un premier blessé qu’on leur amenait.

— Oui, oui ! c’est ici, entrez !

Mais on les détrompa. Le blessé qui se trouvait couché au fond de la carriole, était le maréchal de Mac-Mahon, la fesse gauche à demi emportée, et que l’on ramenait à la Sous-Préfecture, après lui avoir fait un premier pansement, dans une petite maison de jardinier. Il était nu-tête,