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une gêne, plaisantant pour la cacher, disant que ce n’était pas une heure à venir réveiller les gens. Puis, à la première question sur son mari :

— Mais il n’est pas rentré, il ne rentrera que vers neuf heures, je pense… Pourquoi veux-tu qu’il rentre sitôt ?

Henriette, en la voyant souriante, dans son engourdissement de sommeil heureux, dut insister.

— Je te dis qu’on se bat à Bazeilles depuis le petit jour, et comme je suis très inquiète de mon mari…

— Oh ! ma chère, s’écria Gilberte, tu as bien tort… Le mien est si prudent, qu’il serait depuis longtemps ici, s’il y avait le moindre danger… Tant que tu ne le verras pas, va ! tu peux être tranquille.

Cette réflexion frappa beaucoup Henriette. En effet, Delaherche n’était pas un homme à s’exposer inutilement. Elle en fut toute rassurée, elle alla tirer les rideaux, rabattre les persiennes ; et la chambre s’éclaira de la grande lumière rousse du ciel, où le soleil commençait à percer et à dorer le brouillard. Une des fenêtres était restée entr’ouverte, on entendait maintenant le canon, dans cette grande pièce tiède, si close et si étouffée tout à l’heure.

Gilberte, soulevée à demi, un coude dans l’oreiller, regardait le ciel, de ses jolis yeux clairs.

— Alors, on se bat, murmura-t-elle.

Sa chemise avait glissé, une de ses épaules était nue, d’une chair rose et fine, sous les mèches éparses de la noire chevelure ; tandis qu’une odeur pénétrante, une odeur d’amour s’exhalait de son réveil.

— On se bat si matin, mon Dieu ! Que c’est ridicule, de se battre !

Mais les regards d’Henriette venaient de tomber sur une paire de gants d’ordonnance, des gants d’homme oubliés sur un guéridon ; et elle n’avait pu retenir un mouvement. Alors, Gilberte rougit beaucoup, l’attira au bord