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Maman vient d’aller se reposer un peu. Pensez donc ! la nuit entière, il a fallu être sur pied, avec ces allées et venues continuelles.

Et, sans attendre d’être questionnée, elle en disait, elle en disait, enfiévrée de tout ce qu’elle voyait d’extraordinaire depuis la veille.

— Le maréchal, lui, a bien dormi. Mais c’est ce pauvre empereur ! Non, vous ne pouvez pas savoir ce qu’il souffre !… Imaginez-vous qu’hier soir j’étais montée pour aider à donner du linge. Alors, voilà qu’en passant dans la pièce qui touche au cabinet de toilette, j’ai entendu des gémissements, oh ! des gémissements, comme si quelqu’un était en train de mourir. Et je suis restée tremblante, le cœur glacé, en comprenant que c’était l’empereur… Il paraît qu’il a une maladie affreuse qui le force à crier ainsi. Quand il y a du monde, il se retient ; mais, dès qu’il est seul, c’est plus fort que sa volonté, il crie, il se plaint, à vous faire dresser les cheveux sur la tête.

— Où se bat-on depuis ce matin, le savez-vous ? demanda Henriette, en tâchant de l’interrompre.

Rose, d’un geste, écarta la question ; et elle continua :

— Alors, vous comprenez, j’ai voulu savoir, je suis remontée quatre ou cinq fois cette nuit, j’ai collé mon oreille à la cloison… Il se plaignait toujours, il n’a pas cessé de se plaindre, sans pouvoir fermer l’œil un instant, j’en suis bien sûre… Hein ? c’est terrible, de souffrir de la sorte, avec les tracas qu’il doit avoir dans la tête ! car il y a un gâchis, une bousculade ! Ma parole, ils ont tous l’air d’être fous ! Et toujours du monde nouveau qui arrive, et les portes qui battent, et des gens qui se fâchent, et d’autres qui pleurent, et un vrai pillage dans la maison en l’air, des officiers buvant aux bouteilles, couchant dans les lits avec leurs bottes !… Tenez ! C’est encore l’empereur qui est le plus gentil et qui tient le moins de place, dans le coin où il se cache pour crier.