Page:Zola - La Débâcle.djvu/248

Cette page a été validée par deux contributeurs.

C’étaient les batteries de Frénois, et une autre batterie, installée dans la presqu’île d’Iges, qui croisaient leurs salves avec celles du Hattoy. Tout le plateau de l’Algérie en était balayé. Dès lors, la position de la compagnie devint terrible. Les hommes, occupés à surveiller ce qui se passait en face d’eux, eurent cette autre inquiétude dans leur dos, ne sachant à quelle menace échapper. Coup sur coup, trois hommes furent tués, deux blessés hurlèrent.

Et ce fut ainsi que le sergent Sapin reçut la mort, qu’il attendait. Il s’était tourné, il vit venir l’obus, lorsqu’il ne pouvait plus l’éviter.

— Ah ! voilà ! dit-il simplement.

Sa petite figure, aux grands beaux yeux, n’était que profondément triste, sans terreur. Il eut le ventre ouvert. Et il se lamenta.

— Oh ! ne me laissez pas, emportez-moi à l’ambulance, je vous en supplie… Emportez-moi.

Rochas voulut le faire taire. Brutalement, il allait lui dire qu’avec une blessure pareille, on ne dérangeait pas inutilement deux camarades. Puis, apitoyé :

— Mon pauvre garçon, attendez un peu que des brancardiers viennent vous prendre.

Mais le misérable continuait, pleurait maintenant, éperdu du bonheur rêvé qui s’en allait avec son sang.

— Emportez-moi, emportez-moi…

Et le capitaine Beaudoin, dont cette plainte exaspérait sans doute les nerfs en révolte, demanda deux hommes de bonne volonté, pour le porter à un petit bois voisin, où il devait y avoir une ambulance volante. D’un bond, prévenant les autres, Chouteau et Loubet s’étaient levés, avaient saisi le sergent, l’un par les épaules, l’autre par les pieds ; et ils l’emportèrent, au grand trot. Mais, en chemin, ils le sentirent qui se raidissait, qui expirait, dans une secousse dernière.

— Dis donc, il est mort, déclara Loubet. Lâchons-le.