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en pente. Cette fois, Jean avait reconnu leur général de brigade, Bourgain-Desfeuilles, le bras agité dans un geste violent. Il avait donc daigné quitter enfin l’hôtel de la Croix d’Or ; et sa mauvaise humeur disait assez son ennui de s’être levé si tôt, dans des conditions d’installation et de nourriture déplorables.

Sa voix tonnante arriva, distincte.

— Eh ! nom de dieu ! la Moselle ou la Meuse, l’eau qui est là, enfin !

Le brouillard, pourtant, se levait. Ce fut soudain, comme à Bazeilles, le déroulement d’un décor, derrière le flottant rideau qui remontait avec lenteur vers les frises. Un clair ruissellement de soleil tombait du ciel bleu. Et tout de suite Maurice reconnut l’endroit où ils attendaient.

— Ah ! dit-il à Jean, nous sommes sur le plateau de l’Algérie… Tu vois, de l’autre côté du vallon, en face de nous, ce village, c’est Floing ; et là-bas, c’est Saint-Menges ; et, plus loin encore, c’est Fleigneux… Puis, tout au fond, dans la forêt des Ardennes, ces arbres maigres sur l’horizon, c’est la frontière…

Il continua, la main tendue. Le plateau de l’Algérie, une bande de terre rougeâtre, longue de trois kilomètres, descendait en pente douce du bois de la Garenne à la Meuse, dont des prairies le séparaient. C’était là que le général Douay avait rangé le 7e corps, désespéré de n’avoir pas assez d’hommes pour défendre une ligne si développée et pour se relier solidement au 1er corps, qui occupait, perpendiculairement à lui, le vallon de la Givonne, du bois de la Garenne à Daigny.

— Hein ? est-ce grand, est-ce grand !

Et Maurice, se retournant, faisait de la main le tour de l’horizon. Du plateau de l’Algérie, tout le champ de bataille se déroulait, immense, vers le sud et vers l’ouest : d’abord, Sedan, dont on voyait la citadelle, dominant les toits ; puis, Balan et Bazeilles, dans une fumée trouble qui