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Loubet se mit à rire, de son air de gamin de Paris, qui avait roulé au travers de tous les petits métiers des Halles.

— Ah ! ouiche ! c’est nous autres qui claquons de misère, et à qui on donnerait un sou, quand nous passons avec nos godillots crevés et nos frusques de chienlits… Et leurs grandes victoires donc ! Encore de jolis farceurs, lorsqu’ils nous racontaient qu’on venait de faire Bismarck prisonnier et qu’on avait culbuté toute une armée dans une carrière… Non, ce qu’ils se sont foutus de nous !

Pache et Lapoulle, qui écoutaient, serraient les poings, en hochant furieusement la tête. D’autres, aussi, se fâchaient, car l’effet de ces continuels mensonges des journaux avait fini par être désastreux. Toute confiance était morte, on ne croyait plus à rien. L’imagination de ces grands enfants, si fertile d’abord en espérances extraordinaires, tombait maintenant à des cauchemars fous.

— Pardi ! ce n’est pas malin, reprit Chouteau, ça s’explique, puisque nous sommes vendus… Vous le savez bien tous.

La simplicité paysanne de Lapoulle s’exaspérait chaque fois à ce mot.

— Oh ! vendus, faut-il qu’il y ait des gens canailles !

— Vendus, comme Judas a vendu son maître, murmura Pache, que hantaient ses souvenirs d’Histoire sainte.

Chouteau triomphait.

— C’est bien simple, mon Dieu ! on sait les chiffres… Mac-Mahon a reçu trois millions, et les autres généraux chacun un million, pour nous amener ici… Ça s’est fait à Paris, le printemps dernier ; et, cette nuit, ils ont tiré une fusée, histoire de dire que c’était prêt, et qu’on pouvait venir nous prendre.

Maurice fut révolté par la stupidité de l’invention. Autrefois, Chouteau l’avait amusé, presque conquis, grâce à