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triangle ; et, lorsque le roi de Prusse se tournait vers l’ouest, il apercevait une autre plaine, celle de Donchery, des champs vides s’élargissant vers Briancourt, Marancourt et Vrignes-aux-Bois, tout un infini de terres grises, poudroyant sous le ciel bleu ; et, lorsqu’il se tournait vers l’est, c’était aussi, en face des lignes françaises si resserrées, une immensité libre, un pullulement de villages, Douzy et Carignan d’abord, ensuite en remontant Rubécourt, Pourru-aux-Bois, Francheval, Villers-Cernay, jusqu’à la Chapelle, près de la frontière. Tout autour, la terre lui appartenait, il poussait à son gré les deux cent cinquante mille hommes et les huit cents canons de ses armées, il embrassait d’un seul regard leur marche envahissante. Déjà, d’un côté, le xie corps s’avançait sur Saint-Menges, tandis que le ve corps était à Vrignes-aux-Bois et que la division wurtembergeoise attendait près de Donchery ; et, de l’autre côté, si les arbres et les coteaux le gênaient, il devinait les mouvements, il venait de voir le xiie corps pénétrer dans le bois Chevalier, il savait que la garde devait avoir atteint Villers-Cernay. C’étaient les branches de l’étau, l’armée du prince royal de Prusse à gauche, l’armée du prince royal de Saxe à droite, qui s’ouvraient et montaient, d’un mouvement irrésistible, pendant que les deux corps bavarois se ruaient sur Bazeilles.

Aux pieds du roi Guillaume, de Remilly à Frénois, les batteries presque ininterrompues tonnaient sans relâche, couvrant d’obus la Moncelle et Daigny, allant, par-dessus la ville de Sedan, balayer les plateaux du nord. Et il n’était guère plus de huit heures, et il attendait l’inévitable résultat de la bataille, les yeux sur l’échiquier géant, occupé à mener cette poussière d’hommes, l’enragement de ces quelques points noirs, perdus au milieu de l’éternelle et souriante nature.