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Là-haut, sur la Marfée, c’était le roi Guillaume et son état-major. Dès sept heures, il était venu de Vendresse, où il avait couché, et il se trouvait là-haut, à l’abri de tout péril, ayant devant lui la vallée de la Meuse, le déroulement sans bornes du champ de bataille. L’immense plan en relief allait d’un bord du ciel à l’autre ; tandis que, debout sur la colline, comme du trône réservé de cette gigantesque loge de gala, il regardait.

Au milieu, sur le fond sombre de la forêt des Ardennes, drapée à l’horizon ainsi qu’un rideau d’antique verdure, Sedan se détachait, avec les lignes géométriques de ses fortifications, que les prés inondés et le fleuve noyaient au sud et à l’ouest. Dans Bazeilles, des maisons flambaient déjà, une poussière de bataille embrumait le village. Puis, à l’est, de la Moncelle à Givonne, on ne voyait, pareils à des lignes d’insectes, traversant les chaumes, que quelques régiments du 12e corps et du 1er, qui disparaissaient par moments dans l’étroit vallon, où les hameaux étaient cachés ; et, en face, l’autre revers apparaissait, des champs pâles, que le bois Chevalier tachait de sa masse verte. Mais surtout, au nord, le 7e corps était bien en vue, occupant de ses mouvants points noirs le plateau de Floing, une large bande de terres rougeâtres qui descendait du petit bois de la Garenne aux herbages du bord de l’eau. Au delà, c’était encore Floing, Saint-Menges, Fleigneux, Illy, des villages perdus parmi la houle des terrains, toute une région tourmentée, coupée d’escarpements. Et c’était aussi, à gauche, la boucle de la Meuse, les eaux lentes, d’argent neuf au clair soleil, enfermant la presqu’île d’Iges de son vaste et paresseux détour, barrant tout chemin vers Mézières, ne laissant, entre la berge extrême et les inextricables forêts, que la porte unique du défilé de Saint-Albert.

Les cent mille hommes et les cinq cents canons de l’armée française étaient là, entassés et traqués dans ce