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— Ah ! non, je file, moi ! bégaya Delaherche. Si vous ne venez pas, je file tout seul.

Le lieutenant, qu’ils énervaient, intervint.

— Certainement, messieurs, vous feriez mieux de vous en aller… Nous pouvons être attaqués d’un moment à l’autre.

Alors, après avoir jeté un regard vers les prés, où les Bavarois gagnaient du terrain, Weiss se décida à suivre Delaherche. Mais, de l’autre côté, dans la rue, il voulut fermer sa maison à double tour ; et il rejoignait enfin son compagnon, lorsqu’un nouveau spectacle les immobilisa tous les deux.

Au bout de la route, à trois cents mètres environ, la place de l’Église était en ce moment attaquée par une forte colonne bavaroise, qui débouchait du chemin de Douzy. Le régiment d’infanterie de marine chargé de défendre la place parut un instant ralentir le feu, comme pour la laisser s’avancer. Puis, tout d’un coup, quand elle fut massée bien en face, il y eut une manœuvre extraordinaire et imprévue : les soldats s’étaient rejetés aux deux bords de la route, beaucoup se couchaient par terre ; et, dans le brusque espace qui s’ouvrait ainsi, les mitrailleuses, mises en batterie à l’autre bout, vomirent une grêle de balles. La colonne ennemie en fut comme balayée. Les soldats s’étaient relevés d’un bond, couraient à la baïonnette sur les Bavarois épars, achevaient de les pousser et de les culbuter. Deux fois, la manœuvre recommença, avec le même succès. À l’angle d’une ruelle, dans une petite maison, trois femmes étaient restées ; et, tranquillement, à une des fenêtres, elles riaient, elles applaudissaient, l’air amusé d’être au spectacle.

— Ah ! fichtre ! dit soudain Weiss, j’ai oublié de fermer la porte de la cave et de prendre la clef… Attendez-moi, j’en ai pour une minute.

Cette première attaque semblait repoussée, et Dela-