Page:Zola - La Débâcle.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cachées derrière la ligne du chemin de fer, filaient vers leur droite, en tâchant de gagner les arbres lointains, de façon à se rabattre ensuite sur Bazeilles par un mouvement oblique. Si elles réussissaient de la sorte à s’abriter dans le parc de Montivilliers, le village pouvait être pris. Il en eut la rapide et vague sensation. Puis, comme l’attaque de front s’aggravait, elle s’effaça.

Brusquement, il s’était tourné vers les hauteurs de Floing, qu’on apercevait, au nord, par-dessus la ville de Sedan. Une batterie venait d’y ouvrir le feu, des fumées montaient dans le clair soleil, tandis que les détonations arrivaient très nettes. Il pouvait être cinq heures.

— Allons, murmura-t-il, la danse va être complète.

Le lieutenant d’infanterie de marine, qui regardait lui aussi, eut un geste d’absolue certitude, en disant :

— Oh ! Bazeilles est le point important. C’est ici que le sort de la bataille se décidera.

— Croyez-vous ? s’écria Weiss.

— Il n’y a pas à en douter. C’est à coup sûr l’idée du maréchal, qui est venu, cette nuit, nous dire de nous faire tuer jusqu’au dernier, plutôt que de laisser occuper le village.

Weiss hocha la tête, jeta un regard autour de l’horizon ; puis, d’une voix hésitante, comme se parlant à lui-même :

— Eh bien ! non, eh bien ! non, ce n’est pas ça… J’ai peur d’autre chose, oui ! je n’ose pas dire au juste…

Et il se tut. Il avait simplement ouvert les bras très grands, pareils aux branches d’un étau ; et, tourné vers le nord, il rejoignait les mains, comme si les mâchoires de l’étau se fussent tout d’un coup resserrées.

Depuis la veille, c’était sa crainte, à lui qui connaissait le pays et qui s’était rendu compte de la marche des deux armées. À cette heure encore, maintenant que la vaste plaine s’élargissait dans la radieuse lumière, ses regards se reportaient sur les coteaux de la rive gauche,