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VIII


Dans la bousculade, au bout de la chaussée de Wadelincourt, place de Torcy, Jean fut séparé de Maurice ; et il courut, s’égara parmi la cohue piétinante, ne put le retrouver. C’était une vraie malechance, car il avait accepté l’offre du jeune homme, qui voulait l’emmener chez sa sœur : là, on se reposerait, on se coucherait même dans un bon lit. Il y avait un tel désarroi, tous les régiments confondus, plus d’ordres de route ni plus de chefs, que les hommes étaient à peu près libres de faire ce qu’ils voulaient. Quand on aurait dormi quelques heures, il serait toujours temps de s’orienter et de rejoindre les camarades.

Jean, effaré, se trouva sur le viaduc de Torcy, au-dessus des vastes prairies, que le gouverneur avait fait inonder des eaux du fleuve. Puis, après avoir franchi une nouvelle porte, il traversa le pont de Meuse, et il lui sembla, malgré l’aube grandissante, que la nuit revenait, dans cette ville étroite, étranglée entre ses remparts, aux rues humides, bordées de maisons hautes. Il ne se rappelait même pas le nom du beau-frère de Maurice, il savait seulement que sa sœur s’appelait Henriette. Où aller ? qui demander ? Ses pieds ne le portaient plus que par le mouvement mécanique de la marche, il sentait qu’il tomberait, s’il s’arrêtait. Comme un homme qui se noie, il n’entendait que le bourdonnement sourd, il ne distinguait que le ruissellement continu du flot d’hommes et de bêtes dans lequel il était charrié. Ayant mangé à Re-