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route. En bas, les feux des deux berges allaient s’éteindre, on ne voyait plus que des masses confuses piétinant, sans pouvoir même se rendre compte si le passage du fleuve continuait. Et jamais encore une telle angoisse, un tel effarement d’épouvante n’avaient traversé les ténèbres.

Le père Fouchard s’était rapproché de la fenêtre, criant qu’on partait. Réveillés, frissonnants et engourdis, Jean et Maurice se mirent debout. Vivement, Honoré avait serré les deux mains de Silvine dans les siennes.

— C’est juré… Attends-moi.

Elle ne trouva pas un mot, elle le regarda de toute son âme, d’un dernier et long regard, comme il sautait par la fenêtre, pour rejoindre sa batterie, au pas de course.

— Adieu, père !

— Adieu, mon garçon !

Et ce fut tout, le paysan et le soldat se quittaient de nouveau comme ils s’étaient retrouvés, sans une embrassade, en père et en fils qui n’avaient pas besoin de se voir pour vivre.

Quand ils eurent à leur tour quitté la ferme, Maurice et Jean galopèrent par les pentes raides. En bas, ils ne trouvèrent plus le 106e ; tous les régiments étaient déjà en branle ; et ils durent courir encore, on les renvoya, à droite, à gauche. Enfin, la tête perdue, au milieu d’une effroyable confusion, ils tombèrent sur leur compagnie, que conduisait le lieutenant Rochas ; quant au capitaine Beaudoin et au régiment lui-même, ils étaient sans doute ailleurs. Et Maurice fut alors stupéfié, en constatant que cette cohue d’hommes, de bêtes, de canons, sortait de Remilly et remontait du côté de Sedan, par la route de la rive gauche. Quoi donc ? qu’arrivait-il ? on ne passait plus la Meuse, on battait en retraite vers le nord !

Un officier de chasseurs qui se trouvait là, on ne savait comment, dit tout haut :