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qu’il avait découvert. Pour sûr, le malheureux est mort à l’heure qu’il est, tant il souffrait, quand je suis partie.

Prise d’un grand frisson, elle se mit les deux mains sur les yeux, afin de ne plus voir.

— Non, non ! j’en ai trop vu, ça m’étouffe !

Le père Fouchard, toujours sur la route, s’était approché, debout devant la fenêtre, pour écouter ; et le récit de ce pillage le rendait soucieux : on lui avait dit que les Prussiens payaient tout, est-ce qu’ils allaient se mettre à être des voleurs, maintenant ? Maurice et Jean, eux aussi, se passionnaient, à ces détails sur un ennemi que cette fille venait de voir, et qu’eux n’avaient pu rencontrer, depuis un mois qu’on se battait ; tandis que, pensif, la bouche souffrante, Honoré ne s’intéressait qu’à elle, ne songeait qu’au malheur ancien qui les avait séparés.

Mais, à ce moment, la porte de la chambre voisine s’ouvrit, et le petit Charlot parut. Il devait avoir entendu la voix de sa mère, il accourait en chemise, pour l’embrasser. Rose et blond, très fort, il avait une tignasse pâle frisée et de gros yeux bleus.

Silvine frémit, de le revoir si brusquement, comme surprise de l’image qu’il lui apportait. Ne le connaissait-elle donc plus, cet enfant adoré, qu’elle le regardait effrayée, ainsi qu’une évocation même de son cauchemar ? Puis, elle éclata en larmes.

— Mon pauvre petit !

Et elle le serra éperdument dans ses bras, à son cou, tandis qu’Honoré, livide, constatait l’extraordinaire ressemblance de Charlot avec Goliath : c’était la même tête carrée et blonde, toute la race germanique, dans une belle santé d’enfance, souriante et fraîche. Le fils du Prussien, le Prussien, comme les farceurs de Remilly le nommaient ! Et cette mère française qui était là, à l’étreindre sur son cœur, encore toute bouleversée, toute saignante du spectacle de l’invasion !