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On s’étonnait, Chouteau cria :

— Comment, à Angoulême ?… En voilà un bougre de serin qui se croit à Angoulême !

Et il fut impossible de tirer une explication de Lapoulle. Il croyait qu’on allait à Angoulême. C’était lui qui, le matin, à la vue des uhlans, avait soutenu que c’étaient des soldats à Bazaine.

Alors, le camp tomba dans une nuit d’encre, dans un silence de mort. Malgré la fraîcheur de la nuit, on avait défendu d’allumer des feux. On savait les Prussiens à quelques kilomètres, les bruits eux-mêmes s’assourdissaient, de crainte de leur donner l’éveil. Déjà, les officiers avaient averti leurs hommes qu’on partirait vers quatre heures du matin, pour rattraper le temps perdu ; et tous, en hâte, dormaient gloutonnement, anéantis. Au-dessus des campements dispersés, la respiration forte de ces foules montait dans les ténèbres, comme l’haleine même de la terre.

Brusquement, un coup de feu réveilla l’escouade. La nuit était encore profonde, il pouvait être trois heures. Tous furent sur pied, l’alerte gagna de proche en proche, on crut à une attaque de l’ennemi. Et ce n’était que Loubet, qui, ne dormant plus, avait eu l’idée de s’enfoncer dans le bois de chênes, où il devait y avoir du lapin : quelle noce, si, dès le petit jour, il rapportait une paire de lapins aux camarades ! Mais, comme il cherchait un bon poste d’affût, il entendit des hommes venir à lui, causant, cassant les branches, et il s’effara, il lâcha son coup de feu, croyant avoir affaire à des Prussiens.

Déjà, Maurice, Jean, d’autres arrivaient, lorsqu’une voix enrouée s’éleva :

— Ne tirez pas, nom de Dieu !

C’était, à la lisière du bois, un homme grand et maigre, dont on distinguait mal l’épaisse barbe en broussaille. Il portait une blouse grise, serrée à la taille par une cein-