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parut, quelques maisons vides sur un monticule. On ne traversa pas le village, Maurice constata qu’on tournait tout de suite à gauche, reprenant la direction du nord, vers la Besace. Cette fois, il comprit la route adoptée pour s’efforcer d’atteindre Mouzon, avant les Prussiens. Mais pourrait-on y réussir, avec des troupes si lasses, si démoralisées ? À Saint-Pierremont, les trois uhlans avaient reparu, au loin, au coude d’une route qui venait de Buzancy ; et, comme l’arrière-garde quittait le village, une batterie fut démasquée, quelques obus tombèrent, sans faire aucun mal. On ne répondit pas, la marche continuait, de plus en plus pénible.

De Saint-Pierremont à la Besace, il y a trois grandes lieues, et Jean, à qui Maurice disait cela, eut un geste désespéré : jamais les hommes ne feraient douze kilomètres, il le voyait à des signes certains, leur essoufflement, l’égarement de leur visage. La route montait toujours, entre deux coteaux qui se resserraient peu à peu. On dut faire une halte. Mais ce repos avait achevé d’engourdir les membres ; et, quand il fallut repartir, ce fut pis encore : les régiments n’avançaient plus, des hommes tombaient. Jean, en voyant Maurice pâlir, les yeux chavirés de lassitude, causait contre son habitude, tâchait de l’étourdir d’un flux de paroles, pour le tenir éveillé, dans le mouvement mécanique de la marche, devenu inconscient.

— Alors, ta sœur habite Sedan, nous y passerons peut-être.

— À Sedan, jamais ! Ce n’est pas notre chemin, il faudrait être fou.

— Et elle est jeune, ta sœur ?

— Mais elle a mon âge, je t’ai dit que nous étions jumeaux.

— Elle te ressemble ?

— Oui, elle est blonde aussi, oh ! des cheveux frisés, si