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L’ASSOMMOIR.

l’arrangeait dans le fond, car elle en était tombée à ce point d’abrutissement, où l’on préfère crever que de remuer ses dix doigts. Enfin, si Coupeau rapportait sa paie, on mangerait quelque chose de chaud. Et, en attendant, comme midi n’avait pas sonné, elle restait allongée sur la paillasse, parce qu’on a moins froid et moins faim, lorsqu’on est allongé.

Gervaise appelait ça la paillasse ; mais, à la vérité, ça n’était qu’un tas de paille dans un coin. Peu à peu, le dodo avait filé chez les revendeurs du quartier. D’abord, les jours de débine, elle avait décousu le matelas, où elle prenait des poignées de laine, qu’elle sortait dans son tablier et vendait dix sous la livre, rue Belhomme. Ensuite, le matelas vidé, elle s’était fait trente sous de la toile, un matin, pour se payer du café. Les oreillers avaient suivi, puis le traversin. Restait le bois de lit, qu’elle ne pouvait mettre sous son bras, à cause des Boche, qui auraient ameuté la maison, s’ils avaient vu s’envoler la garantie du propriétaire. Et cependant, un soir, aidée de Coupeau, elle guetta les Boche en train de gueuletonner, et déménagea le lit tranquillement, morceau par morceau, les bateaux, les dossiers, le cadre de fond. Avec les dix francs de ce lavage, ils fricotèrent trois jours. Est-ce que la paillasse ne suffisait pas ? Même la toile était allée rejoindre celle du matelas ; ils avaient ainsi achevé de manger le dodo, en se donnant une indigestion de pain, après une fringale de vingt-quatre heures. On poussait la paille d’un coup de balai, le poussier était toujours retourné, et ça n’était pas plus sale qu’autre chose.

Sur le tas de paille, Gervaise, tout habillée, se tenait en chien de fusil, les pattes ramenées sous sa guenille de jupon, pour avoir plus chaud. Et, pelotonnée, les