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L’ASSOMMOIR.

davantage chaque fois, si bien que, de rechute en rechute, on pouvait prévoir la cabriole finale, le dernier craquement de ce tonneau malade dont les cercles pétaient les uns après les autres.

Avec ça, il oubliait d’embellir ; un revenant à regarder ! Le poison le travaillait rudement. Son corps imbibé d’alcool se ratatinait comme les fœtus qui sont dans des bocaux, chez les pharmaciens. Quand il se mettait devant une fenêtre, on apercevait le jour au travers de ses côtes, tant il était maigre. Les joues creuses, les yeux dégouttants, pleurant assez de cire pour fournir une cathédrale, il ne gardait que sa truffe de fleurie, belle et rouge, pareille à un œillet au milieu de sa trogne dévastée. Ceux qui savaient son âge, quarante ans sonnés, avaient un petit frisson, lorsqu’il passait, courbé, vacillant, vieux comme les rues. Et le tremblement de ses mains redoublait, sa main droite surtout battait tellement la breloque, que, certains jours, il devait prendre son verre dans ses deux poings, pour le porter à ses lèvres. Oh ! ce nom de Dieu de tremblement ! c’était la seule chose qui le taquinât encore, au milieu de sa vacherie générale ! On l’entendait grogner des injures féroces contre ses mains. D’autres fois, on le voyait pendant des heures en contemplation devant ses mains qui dansaient, les regardant sauter comme des grenouilles, sans rien dire, ne se fâchant plus, ayant l’air de chercher quelle mécanique intérieure pouvait leur faire faire joujou de la sorte ; et, un soir, Gervaise l’avait trouvé ainsi, avec deux grosses larmes qui coulaient sur ses joues cuites de pochard.

Le dernier été, pendant lequel Nana traîna chez ses parents les restes de ses nuits, fut surtout mauvais pour Coupeau. Sa voix changea complètement,