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LES ROUGON-MACQUART.

ges, pour rentrer cassée à ce point, exécuta enfin sa menace en lui secouant sa main mouillée sur le corps. La petite, furieuse, se roula dans le drap, en criant :

— En voilà assez, n’est-ce pas ? maman ! Ne causons pas des hommes, ça vaudra mieux. Tu as fait ce que tu as voulu, je fais ce que je veux.

— Comment ? comment ? bégaya la mère.

— Oui, je ne t’en ai jamais parlé, parce que ça ne me regardait pas ; mais tu ne te gênais guère, je t’ai vue assez souvent te promener en chemise, en bas, quand papa ronflait… Ça ne te plaît plus maintenant, mais ça plaît aux autres. Fiche-moi la paix, fallait pas me donner l’exemple !

Gervaise resta toute pâle, les mains tremblantes, tournant sans savoir ce qu’elle faisait, pendant que Nana, aplatie sur la gorge, serrant son oreiller entre ses bras, retombait dans l’engourdissement de son sommeil de plomb.

Coupeau grognait, n’ayant même plus l’idée d’allonger des claques. Il perdait la boule, complètement. Et, vraiment, il n’y avait pas à le traiter de père sans moralité, car la boisson lui ôtait toute conscience du bien et du mal.

Maintenant, c’était réglé. Il ne dessoûlait pas de six mois, puis il tombait et entrait à Sainte-Anne ; une partie de campagne pour lui. Les Lorilleux disaient que monsieur le duc de Tord-Boyaux se rendait dans ses propriétés. Au bout de quelques semaines, il sortait de l’asile, réparé, recloué, et recommençait à se démolir, jusqu’au jour où, de nouveau sur le flanc, il avait encore besoin d’un raccommodage. En trois ans, il entra ainsi sept fois à Sainte-Anne. Le quartier racontait qu’on lui gardait sa cellule. Mais le vilain de l’histoire était que cet entêté soûlard se cassait