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LES ROUGON-MACQUART.

dès que l’un tapait, l’autre la défendait, si bien que tous les trois finissaient par se rouler sur le carreau, au milieu de la vaisselle cassée. Avec ça, on ne mangeait point à sa faim, on crevait de froid. Si la petite s’achetait quelque chose de gentil, un nœud de ruban, des boutons de manchettes, les parents le lui confisquaient et allaient le laver. Elle n’avait rien à elle que sa rente de calottes avant de se fourrer dans le lambeau de drap, où elle grelottait sous son petit jupon noir qu’elle étalait pour toute couverture. Non, cette sacrée vie-là ne pouvait pas continuer, elle ne voulait point y laisser sa peau. Son père, depuis longtemps, ne comptait plus ; quand un père se soûle comme le sien se soûlait, ce n’est pas un père, c’est une sale bête dont on voudrait bien être débarrassé. Et, maintenant, sa mère dégringolait à son tour dans son amitié. Elle buvait, elle aussi. Elle entrait par goût chercher son homme chez le père Colombe, histoire de se faire offrir des consommations ; et elle s’attablait très bien, sans afficher des airs dégoûtés comme la première fois, sifflant les verres d’un trait, traînant ses coudes pendant des heures et sortant de là avec les yeux hors de la tête. Lorsque Nana, en passant devant l’Assommoir, apercevait sa mère au fond, le nez dans la goutte, avachie au milieu des engueulades des hommes, elle était prise d’une colère bleue, parce que la jeunesse, qui a le bec tourné à une autre friandise, ne comprend pas la boisson. Ces soirs-là, elle avait un beau tableau, le papa pochard, la maman pocharde, un tonnerre de Dieu de cambuse où il n’y avait pas de pain et qui empoisonnait la liqueur. Enfin, une sainte ne serait pas restée là dedans. Tant pis ! si elle prenait de la poudre d’escampette un de ces jours, ses parents pourraient bien faire leur mea