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LES ROUGON-MACQUART.

Enfin, vers neuf heures, l’estomac vide, bleue de colère, elle se décida à descendre, pour chercher Coupeau dans les environs.

— C’est votre mari que vous demandez ? lui cria madame Boche, en l’apercevant la figure à l’envers. Il est chez le père Colombe. Boche vient de prendre des cerises avec lui.

Elle dit merci. Elle fila raide sur le trottoir, en roulant l’idée de sauter aux yeux de Coupeau. Une petite pluie fine tombait, ce qui rendait la promenade encore moins amusante. Mais, quand elle fut arrivée devant l’Assommoir, la peur de la danser elle-même, si elle taquinait son homme, la calma brusquement et la rendit prudente. La boutique flambait, son gaz allumé, les flammes blanches comme des soleils, les fioles et les bocaux illuminant les murs de leurs verres de couleur. Elle resta là un instant, l’échine tendue, l’œil appliqué contre la vitre, entre deux bouteilles de l’étalage, à guigner Coupeau, dans le fond de la salle ; il était assis avec des camarades, autour d’une petite table de zinc, tous vagues et bleuis par la fumée des pipes ; et, comme on ne les entendait pas gueuler, ça faisait un drôle d’effet de les voir se démancher, le menton en avant, les yeux sortis de la figure. Était-il Dieu possible que des hommes pussent lâcher leurs femmes et leur chez eux pour s’enfermer ainsi dans un trou où ils étouffaient ! La pluie lui dégouttait le long du cou ; elle se releva, elle s’en alla sur le boulevard extérieur, réfléchissant, n’osant pas entrer. Ah bien ! Coupeau l’aurait joliment reçue, lui qui ne voulait pas être relancé ! Puis, vrai, ça ne lui semblait guère la place d’une femme honnête. Cependant, sous les arbres trempés, un léger frisson la prenait, et elle songeait, hésitante encore, qu’elle était pour sûr en