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L’ASSOMMOIR.

scription, des vingt francs coulés de sa poche par un trou qu’il montrait, des cinquante francs dont il arrosait des dettes imaginaires. Puis, il ne s’était plus gêné. L’argent s’évaporait, voilà ! Il ne l’avait plus dans la poche, il l’avait dans le ventre, une autre façon pas drôle de le rapporter à sa bourgeoise. La blanchisseuse, sur les conseils de madame Boche, allait bien parfois guetter son homme à la sortie de l’atelier, pour pincer le magot tout frais pondu ; mais ça ne l’avançait guère, des camarades prévenaient Coupeau, l’argent filait dans les souliers ou dans un porte-monnaie moins propre encore. Madame Boche était très maline sur ce chapitre, parce que Boche lui faisait passer au bleu des pièces de dix francs, des cachettes destinées à payer des lapins aux dames aimables de sa connaissance ; elle visitait les plus petits coins de ses vêtements, elle trouvait généralement la pièce qui manquait à l’appel dans la visière de la casquette, cousue entre le cuir et l’étoffe. Ah ! ce n’était pas le zingueur qui ouatait ses frusques avec de l’or ! Lui, se le mettait sous la chair. Gervaise ne pouvait pourtant pas prendre ses ciseaux et lui découdre la peau du ventre.

Oui, c’était la faute du ménage, s’il dégringolait de saison en saison. Mais ce sont de ces choses qu’on ne se dit jamais, surtout quand on est dans la crotte. Ils accusaient la malechance, ils prétendaient que Dieu leur en voulait. Un vrai bousin, leur chez eux, à cette heure. La journée entière, ils s’empoignaient. Pourtant, ils ne se tapaient pas encore, à peine quelques claques parties toutes seules dans le fort des disputes. Le plus triste était qu’ils avaient ouvert la cage à l’amitié, les sentiments s’étaient envolés comme des serins. La bonne chaleur des pères, des