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L’ASSOMOIR.

mot déplacé. Elle se leva, mal à l’aise, elle quitta les hommes qui achevaient de se cocarder. Coupeau, soûl comme une grive, recommençait à viauper et disait que c’était le chagrin.

Le soir, quand Gervaise se retrouva chez elle, elle resta abêtie sur une chaise. Il lui semblait que les pièces étaient désertes et immenses. Vrai, ça faisait un fameux débarras. Mais elle n’avait bien sûr pas laissé que maman Coupeau au fond du trou, dans le petit jardin de la rue Marcadet. Il lui manquait trop de choses, ça devait être un morceau de sa vie à elle, et sa boutique, et son orgueil de patronne, et d’autres sentiments encore, qu’elle avait enterrés ce jour-là. Oui, les murs étaient nus, son cœur aussi, c’était un déménagement complet, une dégringolade dans le fossé. Et elle se sentait trop lasse, elle se ramasserait plus tard, si elle pouvait.

À dix heures, en se déshabillant, Nana pleura, trépigna. Elle voulait coucher dans le lit de maman Coupeau. Sa mère essaya de lui faire peur ; mais la petite était trop précoce, les morts lui causaient seulement une grosse curiosité ; si bien que, pour avoir la paix, on finit par lui permettre de s’allonger à la place de maman Coupeau. Elle aimait les grands lits, cette gamine ; elle s’étalait, elle se roulait. Cette nuit-là, elle dormit joliment bien, dans la bonne chaleur et les chatouilles du matelas de plume.