Page:Zola - L'Assommoir.djvu/370

Cette page a été validée par deux contributeurs.
370
LES ROUGON-MACQUART.

prendre son chapeau et chercher ailleurs la niche et la pâtée. Il était bien accoutumé à son trou, ayant pris là ses petites habitudes, dorloté par tout le monde ; un vrai pays de cocagne, dont il ne remplacerait jamais les douceurs. Dame ! on ne peut pas s’être empli jusqu’aux oreilles et avoir encore les morceaux sur son assiette. Il se mettait en colère contre son ventre, après tout, puisque la maison à cette heure était dans son ventre. Mais il ne raisonnait point ainsi ; il gardait aux autres une fière rancune de s’être laissé rafaler en deux ans. Vrai, les Coupeau n’étaient guère rablés. Alors, il cria que Gervaise manquait d’économie. Tonnerre de Dieu ! qu’est-ce qu’on allait devenir ? Juste les amis le lâchaient, lorsqu’il était sur le point de conclure une affaire superbe, six mille francs d’appointements dans une fabrique, de quoi mettre toute la petite famille dans le luxe.

En décembre, un soir, on dîna par cœur. Il n’y avait plus un radis. Lantier, très sombre, sortait de bonne heure, battait le pavé pour trouver une autre cambuse, où l’odeur de la cuisine déridât les visages. Il restait des heures à réfléchir, près de la mécanique. Puis, tout d’un coup, il montra une grande amitié pour les Poisson. Il ne blaguait plus le sergent de ville en l’appelant Badingue, allait jusqu’à lui concéder que l’empereur était un bon garçon, peut-être. Il paraissait surtout estimer Virginie, une femme de tête, disait-il, et qui saurait joliment mener sa barque. C’était visible, il les pelotait. Même on pouvait croire qu’il voulait prendre pension chez eux. Mais il avait une caboche à double fond, beaucoup plus compliquée que ça. Virginie lui ayant dit son désir de s’établir marchande de quelque chose, il se roulait devant elle, il déclarait ce projet-là très fort. Oui, elle devait