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LES ROUGON-MACQUART.

— Il faut pourtant que je me couche, murmura-t-elle. Je ne puis pas retourner coucher dans la rue… Oh ! je lui passerai plutôt sur le corps.

Elle tâcha d’enjamber l’ivrogne et dut se retenir à un coin de la commode, pour ne pas glisser dans la saleté. Coupeau barrait complètement le lit. Alors, Lantier, qui avait un petit rire en voyant bien qu’elle ne ferait pas dodo sur son oreiller cette nuit-là, lui prit la main, en disant d’une voix basse et ardente :

— Gervaise… écoute, Gervaise…

Mais elle avait compris, elle se dégagea, éperdue, le tutoyant à son tour, comme jadis.

— Non, laisse-moi… Je t’en supplie, Auguste, rentre dans ta chambre… Je vais m’arranger, je monterai dans le lit par les pieds…

— Gervaise, voyons, ne fais pas la bête, répétait-il. Ça sent trop mauvais, tu ne peux pas rester… Viens. Qu’est-ce que tu crains ? Il ne nous entend pas, va !

Elle luttait, elle disait non de la tête, énergiquement. Dans son trouble, comme pour montrer qu’elle resterait là, elle se déshabillait, jetait sa robe de soie sur une chaise, se mettait violemment en chemise et en jupon, toute blanche, le cou et les bras nus. Son lit était à elle, n’est-ce pas ? elle voulait coucher dans son lit. À deux reprises, elle tenta encore de trouver un coin propre et de passer. Mais Lantier ne se lassait pas, la prenait à la taille, en disant des choses pour lui mettre le feu dans le sang. Ah ! elle était bien plantée, avec un loupiat de mari par devant, qui l’empêchait de se fourrer honnêtement sous sa couverture, avec un sacré salaud d’homme par derrière, qui songeait uniquement à profiter de son malheur pour la ravoir ! Comme le chapelier haussait la voix, elle le supplia de se taire. Et elle écouta, l’oreille ten-