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LES ROUGON-MACQUART.

D’ailleurs, il était complètement dégrisé, l’air abêti, sa vieille veste pleine de duvet ; car il devait s’être couché dans son lit tout habillé.

— Et vous ne savez pas où est mon mari, monsieur ? interrogea la blanchisseuse.

— Mais non, pas du tout… Il était cinq heures, quand nous avons quitté la mère Baquet. Voilà !… Il a peut-être bien descendu la rue. Oui, même je crois l’avoir vu entrer au Papillon avec un cocher… Oh ! que c’est bête ! Vrai, on est bon à tuer !

Lantier et Gervaise passèrent une très agréable soirée au café-concert. À onze heures, lorsqu’on ferma les portes, ils revinrent en se baladant, sans se presser. Le froid piquait un peu, le monde se retirait par bandes ; et il y avait des filles qui crevaient de rire, sous les arbres, dans l’ombre, parce que les hommes rigolaient de trop près. Lantier chantait entre ses dents une des chansons de mademoiselle Amanda : C’est dans l’nez qu’ça me chatouille. Gervaise, étourdie, comme grise, reprenait le refrain. Elle avait eu très chaud. Puis, les deux consommations qu’elle avait bues lui tournaient sur le cœur, avec la fumée des pipes et l’odeur de toute cette société entassée. Mais elle emportait surtout une vive impression de mademoiselle Amanda. Jamais elle n’aurait osé se mettre nue comme ça devant le public. Il fallait être juste, cette dame avait une peau à faire envie. Et elle écoutait, avec une curiosité sensuelle, Lantier donner des détails sur la personne en question, de l’air d’un monsieur qui lui aurait compté les côtes en particulier.

— Tout le monde dort, dit Gervaise, après avoir sonné trois fois, sans que les Boche eussent tiré le cordon.

La porte s’ouvrit, mais le porche était noir, et quand elle frappa à la vitre de la loge pour demander sa clef, la