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LES ROUGON-MACQUART.

société s’offrait encore des tournées. Alors, Coupeau, d’un geste d’ennui, reporta les outils sous la banquette ; ils le gênaient, il ne pouvait pas s’approcher du comptoir sans buter dedans. C’était trop bête, il irait le lendemain chez Bourguignon. Les quatre autres, qui se disputaient à propos de la question des salaires, ne s’étonnèrent pas, lorsque le zingueur, sans explication, leur proposa un petit tour sur le boulevard, pour se dérouiller les jambes. La pluie avait cessé. Le petit tour se borna à faire deux cents pas sur une même file, les bras ballants ; et ils ne trouvaient plus un mot, surpris par l’air, ennuyés d’être dehors. Lentement, sans avoir seulement à se consulter du coude, ils remontèrent d’instinct la rue des Poissonniers, où ils entrèrent chez François prendre un canon de la bouteille. Vrai, ils avaient besoin de ça pour se remettre. On tournait trop à la tristesse dans la rue, il y avait une boue à ne pas flanquer un sergent de ville à la porte. Lantier poussa les camarades dans le cabinet, un coin étroit occupé par une seule table, et qu’une cloison aux vitres dépolies séparait de la salle commune. Lui, d’ordinaire, se piquait le nez dans les cabinets, parce que c’était plus convenable. Est-ce que les camarades n’étaient pas bien là ? On se serait cru chez soi, on y aurait fait dodo sans se gêner. Il demanda le journal, l’étala tout grand, le parcourut, les sourcils froncés. Coupeau et Mes-Bottes avaient commencé un piquet. Deux litres et cinq verres traînaient sur la table.

— Eh bien ? qu’est-ce qu’ils chantent, dans ce papier-là ? demanda Bibi-la-Grillade au chapelier.

Il ne répondit pas tout de suite. Puis, sans lever les yeux :

— Je tiens la Chambre. En voilà des républicains