Page:Zola - L'Assommoir.djvu/322

Cette page a été validée par deux contributeurs.
322
LES ROUGON-MACQUART.

tit sous le prétexte d’aller prendre des jupons chez sa pratique de la rue des Portes-Blanches. Puis, quand elle fut rue Marcadet, devant la fabrique de boulons, elle se promena à petits pas, comptant sur une bonne rencontre. Sans doute, de son côté, Goujet devait l’attendre, car elle n’était pas là depuis cinq minutes, qu’il sortit comme par hasard.

— Tiens ! vous êtes en course, dit-il en souriant faiblement ; vous rentrez chez vous…

Il disait ça pour parler. Gervaise tournait justement le dos à la rue des Poissonniers. Et ils montèrent vers Montmartre, côte à côte, sans se prendre le bras. Ils devaient avoir la seule idée de s’éloigner de la fabrique, pour ne pas paraître se donner des rendez-vous devant la porte. La tête basse, ils suivaient la chaussée défoncée, au milieu du ronflement des usines. Puis, à deux cents pas, naturellement, comme s’ils avaient connu l’endroit, ils filèrent à gauche, toujours silencieux, et s’engagèrent dans un terrain vague. C’était, entre une scierie mécanique et une manufacture de boutons, une bande de prairie restée verte, avec des plaques jaunes d’herbe grillée ; une chèvre, attachée à un piquet, tournait en bêlant ; au fond, un arbre mort s’émiettait au grand soleil.

— Vrai ! murmura Gervaise, on se croirait à la campagne.

Ils allèrent s’asseoir sous l’arbre mort. La blanchisseuse mit son panier à ses pieds. En face d’eux, la butte Montmartre étageait ses rangées de hautes maisons jaunes et grises, dans des touffes de maigre verdure ; et, quand ils renversaient la tête davantage, ils apercevaient le large ciel d’une pureté ardente sur la ville, traversé au nord par un vol de petits nuages blancs. Mais la vive lumière les éblouissait, ils regar-