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L’ASSOMMOIR.

étincelles d’or luisaient, comme dans ceux des chats. Cette femme lui en voulait donc, qu’elle tâchait de la rendre jalouse ? Mais la couturière prit son air bête, en répondant :

— Ça ne peut rien vous faire, bien sûr… Seulement, vous devriez lui conseiller de lâcher cette fille avec laquelle il aura du désagrément.

Le pis était que Lantier se sentait soutenu et changeait de manières à l’égard de Gervaise. Maintenant, quand il lui donnait une poignée de main, il lui gardait un instant les doigts entre les siens. Il la fatiguait de son regard, fixait sur elle des yeux hardis, où elle lisait nettement ce qu’il lui demandait. S’il passait derrière elle, il enfonçait les genoux dans ses jupes, soufflait sur son cou, comme pour l’endormir. Pourtant, il attendit encore, avant d’être brutal et de se déclarer. Mais, un soir, se trouvant seul avec elle, il la poussa devant lui sans dire une parole, l’accula tremblante contre le mur, au fond de la boutique, et là voulut l’embrasser. Le hasard fit que Goujet entra juste à ce moment. Alors, elle se débattit, s’échappa. Et tous trois échangèrent quelques mots, comme si de rien n’était. Goujet, la face toute blanche, avait baissé le nez, en s’imaginant qu’il les dérangeait, qu’elle venait de se débattre pour ne pas être embrassée devant le monde.

Le lendemain, Gervaise piétina dans la boutique, très malheureuse, incapable de repasser un mouchoir ; elle avait besoin de voir Goujet, de lui expliquer comment Lantier la tenait contre le mur. Mais, depuis qu’Étienne était à Lille, elle n’osait plus entrer à la forge, où Bec-Salé, dit Boit-sans-Soif, l’accueillait avec des rires sournois. Pourtant, l’après-midi, cédant à son envie, elle prit un panier vide, elle par-