Page:Zola - L'Assommoir.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
L’ASSOMMOIR.

payer à raison de dix francs par mois. Si, pendant une dizaine de mois, les vingt francs de Lantier se trouvaient mangés à l’avance par les dettes contractées, plus tard il y aurait un joli bénéfice.

Ce fut dans les premiers jours de juin que l’installation du chapelier eut lieu. La veille, Coupeau avait offert d’aller avec lui chercher sa malle, pour lui éviter les trente sous d’un fiacre. Mais l’autre était resté gêné, disant que sa malle pesait trop lourd, comme s’il avait voulu cacher jusqu’au dernier moment l’endroit où il logeait. Il arriva dans l’après-midi, vers trois heures. Coupeau ne se trouvait pas là. Et Gervaise, à la porte de la boutique, devint toute pâle, en reconnaissant la malle sur le fiacre. C’était leur ancienne malle, celle avec laquelle elle avait fait le voyage de Plassans, aujourd’hui écorchée, cassée, tenue par des cordes. Elle la voyait revenir comme souvent elle l’avait rêvé, et elle pouvait s’imaginer que le même fiacre, le fiacre où cette garce de brunisseuse s’était fichue d’elle, la lui rapportait. Cependant, Boche donnait un coup de main à Lantier. La blanchisseuse les suivit, muette, un peu étourdie. Quand ils eurent déposé leur fardeau au milieu de la chambre, elle dit pour parler :

— Hein ? voilà une bonne affaire de faite ?

Puis, se remettant, voyant que Lantier, occupé à dénouer les cordes, ne la regardait seulement pas, elle ajouta :

— Monsieur Boche, vous allez boire un coup.

Et elle alla chercher un litre et des verres. Justement, Poisson, en tenue, passait sur le trottoir. Elle lui adressa un petit signe, clignant les yeux, avec un sourire. Le sergent de ville comprit parfaitement. Quand il était de service, et qu’on battait de l’œil, ça