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L’ASSOMMOIR.

lui profiteraient pas. Quant à Boche, il ricanait : il aimait mieux être treize que quatorze ; les parts seraient plus grosses, voilà tout.

— Attendez ! reprit Gervaise. Ça va s’arranger.

Et, sortant sur le trottoir, elle appela le père Bru qui traversait justement la chaussée. Le vieil ouvrier entra, courbé, roidi, la face muette.

— Asseyez-vous là, mon brave homme, dit la blanchisseuse. Vous voulez bien manger avec nous, n’est-ce pas ?

Il hocha simplement la tête. Il voulait bien, ça lui était égal.

— Hein ! autant lui qu’un autre, continua-t-elle, baissant la voix. Il ne mange pas souvent à sa faim. Au moins, il se régalera encore une fois… Nous n’aurons pas de remords à nous emplir, maintenant.

Goujet avait les yeux humides, tant il était touché. Les autres s’apitoyèrent, trouvèrent ça très bien, en ajoutant que ça leur porterait bonheur à tous. Cependant, madame Lorilleux ne semblait pas contente d’être près du vieux ; elle s’écartait, elle jetait des coups d’œil dégoûtés sur ses mains durcies, sur sa blouse rapiécée et déteinte. Le père Bru restait la tête basse, gêné surtout par la serviette qui cachait l’assiette, devant lui. Il finit par l’enlever et la posa doucement au bord de la table, sans songer à la mettre sur ses genoux.

Enfin, Gervaise servait le potage aux pâtes d’Italie, les invités prenaient leurs cuillers, lorsque Virginie fit remarquer que Coupeau avait encore disparu. Il était peut-être bien retourné chez le père Colombe. Mais la société se fâcha. Cette fois, tant pis ! on ne courrait pas après lui, il pouvait rester dans la rue, s’il n’avait pas faim. Et, comme les cuillers tapaient