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L’ASSOMMOIR.

Elle tourna le fond de son café dans le verre, pour avoir tout le sucre, puis elle but trois gouttes, avec un petit sifflement des lèvres. Gervaise, la gorge serrée, attendait toujours, elle se demandait si réellement Virginie lui avait pardonné sa fessée tant que ça ; car elle voyait, dans ses yeux noirs, des étincelles jaunes s’allumer. Cette grande diablesse devait avoir mis sa rancune dans sa poche avec son mouchoir par-dessus.

— Vous aviez une excuse, continua-t-elle. On venait de vous faire une saleté, une abomination… Oh ! je suis juste, allez ! Moi, j’aurais pris un couteau.

Elle but encore trois gouttes, sifflant au bord du verre. Et elle quitta sa voix traînante, elle ajouta rapidement, sans s’arrêter :

— Aussi ça ne leur a pas porté bonheur, ah ! Dieu de Dieu ! non, pas bonheur du tout !… Ils étaient allés demeurer au diable, du côté de la Glacière, dans une sale rue où il y a toujours de la boue jusqu’aux genoux. Moi, deux jours après, je suis partie un matin pour déjeuner avec eux ; une fière course d’omnibus, je vous assure ! Eh bien ! ma chère, je les ai trouvés en train de se houspiller déjà. Vrai, comme j’entrais, ils s’allongeaient des calottes. Hein ! en voilà des amoureux !… Vous savez qu’Adèle ne vaut pas la corde pour la pendre. C’est ma sœur, mais ça ne m’empêche pas de dire qu’elle est dans la peau d’une fière salope. Elle m’a fait un tas de cochonneries ; ça serait trop long à conter, puis ce sont des affaires à régler entre nous… Quant à Lantier, dame ! vous le connaissez, il n’est pas bon non plus. Un petit monsieur, n’est-ce pas ? qui vous enlève le derrière pour un oui, pour un non ! Et il ferme le poing, lorsqu’il tape… Alors donc ils se sont échignés en conscience. Quand on montait l’escalier, on les entendait se bû-