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LES ROUGON-MACQUART.

et ça fait l’homme ! T’as beau être gros, j’en ai mangé d’autres !

— Oui, c’est ça, tout de suite. Arrive, et à nous deux !

— On y est, malin !

Ils se défiaient, allumés par la présence de Gervaise. Goujet mit au feu les bouts de fer coupés à l’avance ; puis, il fixa sur une enclume une clouière de fort calibre. Le camarade avait pris contre le mur deux masses de vingt livres, les deux grandes sœurs de l’atelier, que les ouvriers nommaient Fifine et Dédèle. Et il continuait à crâner, il parlait d’une demi-grosse de rivets qu’il avait forgés pour le phare de Dunkerque, des bijoux, des choses à placer dans un musée, tant c’était fignolé. Sacristi, non ! il ne craignait pas la concurrence ; avant de rencontrer un cadet comme lui, on pouvait fouiller toutes les boîtes de la capitale. On allait rire, on allait voir ce qu’on allait voir.

— Madame jugera, dit-il en se tournant vers la jeune femme.

— Assez causé ! cria Goujet. Zouzou, du nerf ! Ça ne chauffe pas, mon garçon.

Mais Bec-Salé, dit Boit-sans-Soif, demanda encore :

— Alors, nous frappons ensemble ?

— Pas du tout ! chacun son boulon, mon brave !

La proposition jeta un froid, et du coup le camarade, malgré son bagou, resta sans salive. Des boulons de quarante millimètres établis par un seul homme, ça ne s’était jamais vu ; d’autant plus que les boulons devaient être à tête ronde, un ouvrage d’une fichue difficulté, un vrai chef d’œuvre à faire. Les trois autres ouvriers de l’atelier avaient quitté leur travail pour voir ; un grand sec pariait un litre que Goujet serait battu. Cependant, les deux forgerons