Page:Zola - L'Assommoir.djvu/200

Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
LES ROUGON-MACQUART.

l’étau. La petite forge, sous le plein jour, avait un reflet rose.

— Oui, c’est moi ! dit Gervaise. Ça vous étonne, parce que nous sommes à couteaux tirés ? Mais je ne viens pas pour moi ni pour vous, vous pensez bien… C’est pour maman Coupeau que je viens. Oui, je viens voir si nous la laisserons attendre un morceau de pain de la charité des autres.

— Ah bien ! en voilà une entrée ! murmura madame Lorilleux. Il faut avoir un fier toupet.

Et elle tourna le dos, elle se remit à tirer son fil d’or, en affectant d’ignorer la présence de sa belle-sœur. Mais Lorilleux avait levé sa face blême, criant :

— Qu’est-ce que vous dites ?

Puis, comme il avait parfaitement entendu, il continua :

— Encore des potins, n’est-ce pas ? Elle est gentille, maman Coupeau, de pleurer misère partout !… Avant-hier, pourtant, elle a mangé ici. Nous faisons ce que nous pouvons, nous autres. Nous n’avons pas le Pérou… Seulement, si elle va bavarder chez les autres, elle peut y rester, parce que nous n’aimons pas les espions.

Il reprit le bout de chaîne, tourna le dos à son tour, en ajoutant comme à regret :

— Quand tout le monde donnera cent sous par mois, nous donnerons cent sous.

Gervaise s’était calmée, toute refroidie par les figures en coin de rue des Lorilleux. Elle n’avait jamais mis les pieds chez eux sans éprouver un malaise. Les yeux à terre, sur les losanges de la claie de bois, où tombaient les déchets d’or, elle s’expliquait maintenant d’un air raisonnable. Maman Coupeau avait trois enfants ; si chacun donnait cent sous, ça ne ferait que