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L’ASSOMMOIR.

tard, ne pouvant s’empêcher de s’assurer s’il restait chaud, croyant lui faire du bien. Quand le brancard arriva enfin, et qu’on parla de partir pour l’hôpital, elle se releva, en disant violemment :

— Non, non, pas à l’hôpital !… Nous demeurons rue Neuve de la Goutte-d’Or.

On eut beau lui expliquer que la maladie lui coûterait très-cher, si elle prenait son mari chez elle. Elle répétait avec entêtement :

— Rue Neuve de la Goutte-d’Or, je montrerai la porte… Qu’est-ce que ça vous fait ? J’ai de l’argent… C’est mon mari, n’est-ce pas ? Il est à moi, je le veux.

Et l’on dut rapporter Coupeau chez lui. Lorsque le brancard traversa la foule qui s’écrasait devant la boutique du pharmacien, les femmes du quartier parlaient de Gervaise avec animation : elle boitait, la mâtine, mais elle avait tout de même du chien ; bien sûr, elle sauverait son homme, tandis qu’à l’hôpital les médecins faisaient passer l’arme à gauche aux malades trop détériorés, histoire de ne pas se donner l’embêtement de les guérir. Madame Boche, après avoir emmené Nana chez elle, était revenue et racontait l’accident avec des détails interminables, toute secouée encore d’émotion.

— J’allais chercher un gigot, j’étais là, je l’ai vu tomber, répétait-elle. C’est à cause de sa petite, il a voulu la regarder, et patatras ! Ah ! Dieu de Dieu ! je ne demande pas à en voir tomber un second… Il faut pourtant que j’aille chercher mon gigot.

Pendant huit jours, Coupeau fut très-bas. La famille, les voisins, tout le monde, s’attendaient à le voir tourner de l’œil d’un instant à l’autre. Le médecin, un médecin très-cher qui se faisait payer cent sous la visite, craignait des lésions intérieures ; et ce