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LES ROUGON-MACQUART.

amusée tout d’un coup par la vue de son père, tapait dans ses petites mains. Elle s’était assise sur le trottoir, pour mieux voir là-haut.

— Papa ! papa ! criait-elle de toute sa force ; papa ! regarde donc !

Le zingueur voulut se pencher, mais son pied glissa. Alors, brusquement, bêtement, comme un chat dont les pattes s’embrouillent, il roula, il descendit la pente légère de la toiture, sans pouvoir se rattraper.

— Nom de Dieu ! dit-il d’une voix étouffée.

Et il tomba. Son corps décrivit une courbe molle, tourna deux fois sur lui-même, vint s’écraser au milieu de la rue avec le coup sourd d’un paquet de linge jeté de haut.

Gervaise, stupide, la gorge déchirée d’un grand cri, resta les bras en l’air. Des passants accoururent, un attroupement se forma. Madame Boche, bouleversée, fléchissant sur ses jambes, prit Nana entre ses bras, pour lui cacher la tête et l’empêcher de voir. Cependant, en face, la petite vieille, comme satisfaite, fermait tranquillement sa fenêtre.

Quatre hommes finirent par transporter Coupeau chez un pharmacien, au coin de la rue des Poissonniers ; et il demeura là près d’une heure, au milieu de la boutique, sur une couverture, pendant qu’on était allé chercher un brancard à l’hôpital Lariboisière. Il respirait encore, mais le pharmacien avait de petits hochements de tête. Maintenant, Gervaise, à genoux par terre, sanglotait d’une façon continue, barbouillée de ses larmes, aveuglée, hébétée. D’un mouvement machinal, elle avançait les mains, tâtait les membres de son mari, très-doucement. Puis, elle les retirait, en regardant le pharmacien qui lui avait défendu de toucher ; et elle recommençait quelques secondes plus