Page:Zola - L'Assommoir.djvu/124

Cette page a été validée par deux contributeurs.
124
LES ROUGON-MACQUART.

— Devinez combien nous payons ici ? demandait Gervaise à chaque visiteur.

Et quand on estimait son loyer trop haut, elle triomphait, elle criait, ravie d’être si bien pour si peu d’argent :

— Cent cinquante francs, pas un liard de plus !… Hein ! c’est donné !

La rue Neuve de la Goutte-d’Or elle-même entrait pour une bonne part dans leur contentement. Gervaise y vivait, allant sans cesse de chez elle chez madame Fauconnier. Coupeau, le soir, descendait maintenant, fumait sa pipe sur le pas de la porte. La rue, sans trottoir, le pavé défoncé, montait. En haut, du côté de la rue de la Goutte-d’Or, il y avait des boutiques sombres, aux carreaux sales, des cordonniers, des tonneliers, une épicerie borgne, un marchand de vin en faillite, dont les volets fermés depuis des semaines se couvraient d’affiches. À l’autre bout, vers Paris, des maisons de quatre étages barraient le ciel, occupées à leur rez-de-chaussée par des blanchisseuses, les unes près des autres, en tas ; seule, une devanture de perruquier de petite ville, peinte en vert, toute pleine de flacons aux couleurs tendres, égayait ce coin d’ombre du vif éclair de ses plats de cuivre, tenus très propres. Mais la gaieté de la rue se trouvait au milieu, à l’endroit où les constructions, en devenant plus rares et plus basses, laissaient descendre l’air et le soleil. Les hangars du loueur de voitures, l’établissement voisin où l’on fabriquait de l’eau de Seltz, le lavoir, en face, élargissaient un vaste espace libre, silencieux, dans lequel les voix étouffées des laveuses et l’haleine régulière de la machine à vapeur semblaient grandir encore le recueillement. Des terrains profonds, des allées s’enfonçant entre des murs