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L’ASSOMMOIR.

On disait qu’il allait faire un tour du côté de Lyon ; ce serait un fameux débarras, s’il se cassait le cou dans un fossé. Et, comme la discussion tournait au vilain, Coupeau dut intervenir.

— Ah bien ! vous êtes encore innocents de vous attraper pour la politique !… En voilà une blague, la politique ! Est-ce que ça existe pour nous ?… On peut bien mettre ce qu’on voudra, un roi, un empereur, rien du tout, ça ne m’empêchera pas de gagner mes cinq francs, de manger et de dormir, pas vrai ?… Non, c’est trop bête !

Lorilleux hochait la tête. Il était né le même jour que le comte de Chambord, le 29 septembre 1820. Cette coïncidence le frappait beaucoup, l’occupait d’un rêve vague, dans lequel il établissait une relation entre le retour en France du roi et sa fortune personnelle. Il ne disait pas nettement ce qu’il espérait, mais il donnait à entendre qu’il lui arriverait alors quelque chose d’extraordinairement agréable. Aussi, à chacun de ses désirs trop gros pour être contenté, il renvoyait ça à plus tard, « quand le roi reviendrait. »

— D’ailleurs, raconta-t-il, j’ai vu un soir le comte de Chambord…

Tous les visages se tournèrent vers lui.

— Parfaitement. Un gros homme, en paletot, l’air bon garçon… J’étais chez Péquignot, un de mes amis, qui vend des meubles, Grande-Rue de la Chapelle… Le comte de Chambord avait la veille laissé là un parapluie. Alors, il est entré, il a dit comme ça, tout simplement : « Voulez-vous bien me rendre mon parapluie ? » Mon Dieu ! oui, c’était lui, Péquignot m’a donné sa parole d’honneur.

Aucun des convives n’émit le moindre doute. On était au dessert. Les garçons débarrassaient la table