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point ces choses, c’était pour lui une surprise, de les voir ainsi se grouper, se résumer, avec cette force d’évidence, c’était aussi un grand trouble, un ébranlement de tout ce qu’il avait cru jusqu’à ce jour, un doute de l’existence, du devoir et du bonheur, tels qu’il les concevait le matin encore.

Il s’arrêta, respira fortement, voulut se reprendre, chasser l’ivresse croissante qu’il sentait monter en lui. Il avait dépassé l’Opéra, il arrivait au carrefour Drouot ; et n’était-ce pas de ces boulevards ardents, à cette heure de nuit, que lui venait ce redoublement de fièvre ? Les cabinets des restaurants flambaient encore, les cafés incendiaient la chaussée, leurs terrasses barraient les trottoirs de l’entassement des consommateurs. Tout Paris semblait être descendu là, pour jouir de la délicieuse soirée, flânant en une cohue si épaissie, que les corps se frôlaient sans fin, dans la tiédeur des haleines. Des couples s’attardaient devant les boutiques étincelantes des bijoutiers. Des familles bourgeoises s’engouffraient, sous des arcs éclatants de lampes électriques, dans des cafés-concerts, des spectacles de gaudrioles et de nudités, aux grandes affiches prometteuses. Des femmes par centaines, à la file, traînaient leurs jupes, attendaient d’être accostées, finissaient par accoster elles-mêmes les hommes, chuchotantes, avec des rires engageants. Des hommes en chasse les dédaignaient, cherchaient l’aventure, la femme honnête égarée, la petite bourgeoise ou l’ouvrière qui se donne, se lançant à la poursuite d’un chignon blond ou brun, bégayant derrière une nuque des paroles brûlantes. Des ménages, légitimes ou non, de vieux époux déjà, des amants de hasard, roulaient dans les fiacres découverts, en route pour l’alcôve prochaine, l’homme silencieux, la femme à demi allongée, la face rêveuse, parmi les alternatives d’ombre subite et de clarté crue. Et c’était ainsi, pour ce fleuve humain coulant entre les hautes maisons