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On découvrira cela un jour. Je dors tranquille. Comme je l’ai dit ailleurs, je n’ai jamais voulu être que le soldat le plus convaincu du vrai. Sans doute, on a pu confondre le romancier et le critique ; on a vu dans mes études un plaidoyer personnel, lorsque j’étais beaucoup plus modestement le porte-drapeau d’un groupe, ou mieux encore le greffier d’une période littéraire. Mais, je le répète, avec le recul des années, tout se mettra en sa place. On séparera le critique du romancier ; on établira qu’il a cherché la vérité passionnément, à l’aide des méthodes scientifiques, souvent contre ses propres œuvres ; on le suivra dans son évolution, appliquant les mêmes formules à la littérature, à l’art, à la politique ; on le verra enfin obéir à l’impulsion du siècle, partir de l’insurrection romantique pour arriver au mouvement naturaliste, à un désir d’ordre et de paix dans les lettres, à une nouvelle période classique, retrouvant, sur le terrain de plus en plus solide des sciences, la grandeur simple du génie national.

On m’a reproché ma passion. C’est vrai, je suis un passionné, et j’ai dû être injuste souvent. Ma faute est là, même si ma passion est haute, dégagée de toutes les vilenies qu’on lui prête. Mais, je l’avoue encore, je ne donnerais pas ma passion pour la veulerie complaisante et le misérable aplatissement des autres. N’est-ce donc rien, la passion qui flambe, la passion qui tient le cœur chaud ? Ah ! vivre indigné, vivre enragé contre les talents mensongers, contre les réputations volées, contre la médiocrité universelle ! Ne pouvoir lire un journal sans pâlir de colère ! Se sentir la continuelle et irrésistible nécessité de crier tout haut ce qu’on pense, surtout lorsqu’on est le seul à le penser, et quitte à gâter les joies de sa vie ! Voilà quelle a été ma passion, j’en suis tout ensanglanté, mais je l’aime, et si je vaux quelque chose, c’est par elle, par elle seule !

D’ailleurs, elle est la grande force. Malgré les erreurs que j’ai pu commettre, on a entendu ma voix, parce que j’étais convaincu et que j’étais passionné. Dans notre effroyable charivari contemporain, j’ai réussi à me faire écouter, parfois. Refusez-moi tout, discutez et niez : je n’en ai pas moins rendu à la littérature le service de la dégager un moment de ce tas lourd et bête de politique, sous lequel elle râle, enterrée vivante. Quand je n’aurais servi qu’à cela, quand je me serais simplement produit pour allumer des querelles littéraires, pour me faire accabler d’injures, pour tirer les lettres de leur somnolence par ma bataille, eh bien ! j’estime que. tous les écrivains, les jeunes surtout, devraient m’en garder un peu de reconnaissance. On vit au moins, lorsqu’on se bat. La passion appelle la passion. Que notre querelle littéraire disparaisse, et vous verrez la masse informe de la politique retomber et s’étaler plus odieusement dans les journaux, tout boucher, tout écraser, au point qu’il faudra un jour y faire des fouilles, pour retrouver les os d’un romancier impénitent ou les cheveux du dernier poète !

Donc, je me retire égoïstement dans mon coin, un peu écœuré, je le confesse, et je n’ai plus qu’un souhait à faire : c’est qu’il nous vienne des critiques passionnés pour qu’on les injurie et qu’ils nous tiennent en haleine. Le désir de la vérité ne suffit pas, dans nos temps troublés ; il en faut la passion, qui exagère, mais qui s’impose. Allons ! où est le jeune écrivain qui nous sauvera de cette commère braillarde de la politique, qui parlera aussi liant qu’elle, qui plantera dans les décombres le drapeau noble de la littérature, si rudement, que la France oubliera au moins pour un jour les torchons sales des partis !

Émile ZOLA.

Médan, 15 janvier 1882.