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LUCIUS.


revenu à ma nourriture habituelle, je redevins gras, beau, poli et luisant. Les bonnes gens n’y pouvaient rien comprendre ; me voyant si fort, si bien portant, ils s’étonnaient que Forge, au lieu de diminuer, restât toujours au même point. De là à soupçonner mes fredaines il n’y avait pas loin : un jour donc, ils sortent comme pour aller au bain, ferment la porte, appliquent l’œil contre une fente et regardent dans la chambre, moi qui ne soupçonnais rien de la trahison, je commence mon repas. D’abord ils se mettent à rire, en voyant cet incroyable dîner, puis ils appellent les autres esclaves pour me voir. C’étaient des rires sans fin, mais si éclatants, si tumultueux, que le maître, entendant tout ce tapage dehors, demande ce qu’ils ont à se pâmer ainsi. Dès qu’on le lui a dit, il se lève de table, regarde par la fente et me voit dévorer un quartier de sanglier. Ce fut alors son tour de rire, de s’exclamer et d’entrer dans la chambre. Qui fut bien penaud, ce fut moi, d’être ainsi pris, par devant mon maître, en flagrant délit de vol et de gourmandise. Cependant il riait de moi à gorge déployée : son premier soin fut d’ordonner qu’on me fit entrer dans sa salle à manger et qu’on me servît sur une table une foule de choses qu’un âne n’a guère coutume de manger, viandes, ragoûts, bouillons, poissons, mets de tout genre, assaisonnés à l’huile, au garum, à la moutarde. Moi, voyant la fortune commencer à me sourire, et sentant bien d’ailleurs que ce jeu était peut-être ma seule ancre de salut, quoique bourré déjà, je me mets à manger à table. Alors nouvelle explosion de rires à faire trembler la salle. Quelqu’un s’avise de dire : « Mais cet âne boirait bien du vin, si on lui en donnait avec de l’eau. » Le maître m’en fait aussi servir, et je l’avale aussitôt.

XLVIII. Le maître, on le comprend, voyant en moi un animal extraordinaire, ordonne à un de ses intendants de me payer deux fois ce que je coûtais à celui