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LUCIUS.


bout, je lui lance une ruade qui l'étend sur le dos au beau milieu de ses légumes, et je me sauve par la route de la montagne. Mais lorsqu’il me voit prendre ma course, il ordonne de lâcher les chiens contre moi. Il y avait là bon nombre de grands dogues, de force à combattre les ours. Je compris bien vite que s'ils me joignaient, ils me mettraient en lambeaux ; je fis donc demi-tour, résolu, comme dit le proverbe, à courir en arrière plutôt que de mal courir ; et, revenant sur mes pas, je rentrai à la ferme. On reprit et on attacha les chiens lancés à ma poursuite. Pour moi, on se remit à m'assommer de plus belle, et on ne me lâcha que quand la douleur m'eut fait expulser violemment tous mes légumes.

XIX. Le moment de partir arrivé, ce fut moi qu'on gratifia de la plus grande partie et du plus lourd du butin ; on se remit en route dans cet équipage. Mais bientôt, moulu de coups, succombant sous le faix, la corne des pieds usée par la marche, je résolus de me laisser tomber sur place et de ne plus bouger, dût-on me tuer sous le bâton. Il me semblait que j'avais trouvé là une merveilleuse invention pour me tirer d'affaire. Je pensais que, poussés à bout, ils partageraient ma charge entre le cheval et le mulet, et me laisseraient couché là pour les loups. Mais quelque génie envieux et malfaisant devina sans doute mon dessein et le déjoua de tout en tout : l'autre âne, qui avait fait sans doute les mêmes réflexions que moi, se laissa choir sur la route. D'abord on engagea à coups de bâton le malheureux à se relever. Puis, comme il était sourd aux coups, les uns le prirent par les oreilles, les autres par la queue, pour le remettre en pied. Mais rien n'y fit ; il restait là couché sur la route, comme une pierre, résigné à tout. Réfléchissant alors que c'était peine inutile et qu'ils perdraient autour d'un âne mort un temps précieux pour la fuite, ils partagèrent sa charge entre mon cheval cl moi ; puis ils lui coupèrent les jarrets à