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CLARA ZETKIN

souffert tant de privations, tant de misères ? Au lendemain des années de guerre impérialiste et de guerre civile, un autre hiver de guerre où des millions d’hommes auront faim, auront froid, mourront dans un morne désespoir ! Déjà, nous n’avons que tout juste de quoi vivre, de quoi nous habiller. Les ouvriers se plaignent, les paysans murmurent qu’on ne fait que leur demander et qu’on ne leur donne rien… Non, l’idée des souffrances d’une nouvelle campagne d’hiver était insupportable, il fallait faire la paix ».

Pendant que Lénine parlait ainsi, son visage s’était comme ratatiné sous mes yeux. Des rides sans nombre, grandes et petites, s’y étaient creusées profondément. Et chacune de ces rides était tracée par un souci grave, par une douleur poignante. Il y avait sur cette figure l’expression d’une souffrance indicible. J’étais toute saisie, remuée profondément. Je revoyais en esprit le Christ en croix de Grünewald, un maître du moyen âge. Je crois que ce tableau est connu sous le nom de « L’homme douloureux ». Il n’y a pas trace de ressemblance entre le crucifié de Grünewald et la célèbre figure du Guide, cette tendre victime pardonnant à ses ennemis, dont rêvent, comme au « divin fiancé », tant de vieilles filles ou de femmes mal mariées. Le crucifié de Grünewald est celui qu’on torture cruellement, qu’on martyrise jusqu’à ce qu’il en meure, celui qui « porte les péchés du monde ». Et je